livret septembre - décembre 18

1 septembre 2018 > 1 décembre 2018
publication

À quoi servent les mots, et comment s’en servir ? Les deux fonctions principales du langage sont l’expression et la communication. L’expression : d’une idée, d’un sentiment. La communication : l’action sur l’autre au moyen du langage. Donner forme à une idée, formuler. L’idée, c’est que les mots sont des idées. Les mots, composés de lettres, sont des séries non-aléatoires de signes, soumis au système d’une idée qui se conçoit en eux - non avant, non après, mais pendant le mot. Depuis les grecs, pas de pensée hors des mots. Langage de signes, langages numériques. Phrases sybillines, suites manipulables, preuves aussi peu fiables, aussi peu sages que des images. Des mots pour s’entendre, se comprendre, constituer une société. Des mots comme relation. Des mots comme partage. On pourra craindre d’avoir des mots avec quelqu’un et que ceux-ci aient dépassé la pensée.

Les mots, quand s’en servir et où ? Comment les soustraire aux pré-programmations systémiques qui en transforment le goût sur la langue, vers l’autocorrection de soi-même, l’autocensure de nos sentiments, l’automation de la pensée, la soumission du sensible au système de la soumission. Des mots comme résistance, qui nous les prend ? La question se pose : qui est-ce qui efface les idées du dedans des mots ? Un petit objet de forme rectangulaire, un halo dans l’obscurité. Un texto. Il vivait dans le monde des à peu près, où l’on salue dans le vide, où l’on juge dans le faux. C’est quoi ? Proust1. Le synchronisme tombait bien. Un peu de savoir-faire. Un peu de littérature. L’hypocrisie discrète ou crispée d’une certitude, ou d’un refus d’approfondir. Des mots comme culpabilité. Des mots comme fascisme. Penser ensemble et dire, les uns après les autres, pour parvenir à s’entendre, distinctement. Puis, pour bien s’en rappeler, tracer, scrupuleusement, des séries intelligibles sur lesquelles nous serions tombés d’accord. Parce que pendant ce temps, la communication continue. Défilé ininterrompu de termes passant si vite que la pensée se trouve peu à peu soumise à l’objectif d’une stratégie politique menée par une détermination souveraine, au détriment de la démocratie parlementaire : par et pour les plus riches. Des pensées qui n’hésitent pas à faire passer le mot. On appelle ça des idées reçues. Ce sont des mots d’ordres. Des mots comme protection à la place de sécurité2. Les demandeurs d’asile algériens de l’Aquarius n’auront que peu de chances d’obtenir l’asile en France3. Des mots chargés de pouvoir. Un pouvoir de vie et de mort.

Comment s’en servir, et pour quoi ? La tâche est ardue. Mais puisqu’en bon français, on dit que l’impossible n’est pas. Des poètes, des penseurs doivent se mettre au travail. Repenser les mots du peuple. Refonder la vérité. La Constitution. La règle de droit suprême, l’acte de souveraineté du peuple. Tu parles, Charles ! La souveraineté, le roi, quel que soit son petit nom, se la garde. L’a-t-il volée au peuple ? Non, le peuple la lui a laissée. Bah ! À quoi elle lui servait, cette constitution, au peuple ? C’était sa plus haute idée de lui - même. Formée, dite, écrite noir sur blanc. Et le principe qu’il en avait fait émerger. Et quel était-il, ce principe ? Gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. C’était la règle qu’il s’était donnée à lui-même. Il l’avait écrite pour s’en rappeler, mais il ne s’était tout simplement pas souvenu de la lire. Alors, à force, il a oublié de la penser. Pendant ce temps, la communication continuait. Maintenant, la loi le tient, le néocapitalisme est parvenu à son objectif déclaré, le prendre à la gorge. Comment, étouffant, trouvera-t-il encore le temps de penser ? Comment, sans inspiration, formera-t-il encore une idée qui soit belle ? Pourtant, il faudra bien penser d’abord, avant d’hurler. Penser tout seul dans son petit coin irrespirable d’abord. Et après, dire devant les autres. Ouille, pas facile. Leur faire entendre, comprendre, à force de pousser les sentiments et les idées dans le tuyau, articuler ce qui se pense. Ce qu’il faut faire. Après, l’écrire, recopier, pour que ça puisse être relu. Pour qu’on s’en souvienne au moment où on ne se comprendra plus. Qu’on se souvienne du moment où on s’était compris. Pas tellement bien compris, mais à peu près compris. Pour ne pas l’oublier, que c’était possible. Qu’il est toujours possible de penser un ici ensemble sans tomber dans le lieu-commun. Post scriptum : tenir bon.

 

1 À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Proust. 2 Voir article, L’ Humanité du 04/07/18 : Modèle social. La Macronie veut supprimer la sécu de la constitution par A. Soucheyre avec S. Guérard et A. Loussouarn. 3 Voir article, Le Monde du 3/07/18 par J. Pascal.